Le rôle des femmes dans le waqf : une perspective historique
Par Abdul Azim Islahi*[1]
Le présent article explore le rôle des femmes musulmanes dans la création et la gestion d’awqaf, domaine généralement ignoré des auteurs sur l’histoire du waqf.
Inspirées de l’enseignement coranique : « Vous n’atteindrez la (vraie) piété, que si vous faites largesses de ce que vous chérissez. Tout ce dont vous faites largesses, Allah le sait certainement bien » (Coran 3, verset 92) et «… rivalisez donc dans les bonnes œuvres… » (Coran 5, verset 48), les femmes musulmanes ne sont pas restées de côté dans les actes de piété, y compris la création d’awqaf. Une exploration de l’histoire des institutions waqf révèle de nombreux exemples depuis les premiers jours de l’Islam jusqu’à nos jours.
Cet article examine également divers types d’objets donnés en dotation par les femmes et les buts pour lesquels ils ont été dédiés. Un exemple de supervision et de gestion d’awqaf par des femmes peut également être retracé au siècle de l’apogée de l’Islam. Preuves que la création et la gestion d’awqaf par des femmes musulmanes à diverses fins se sont répandus à travers l’histoire de l’Islam.
Les registres de waqfiyyat[2] dans les archives ottomanes et des actes de waqf conservés sont des sources primaires de grande valeur pour les femmes qui nous ont précédées. Dans les ouvrages historiques, il existe une pénurie d’écrits sur les femmes. Les waqfiyyat laissés par les femmes comblent en partie cette lacune.
Cette présente étude est un effort modeste dans cette direction. En présentant des exemples de femmes exerçant un contrôle et une administration des affaires et de la finance à l’époque actuelle, le document tente de préciser, dans les notes de conclusion, à quel point les femmes sont pleinement compétentes pour gérer les awqaf. De plus, comme les femmes musulmanes disposent de nombreuses sources de revenus sans obligations financières, il est également avancé qu’elles ont une plus grande capacité à créer un waqf si elles ont reçu un enseignement et qu’elles en sont motivées.
Introduction
L’esprit de religiosité créé par l’Islam parmi ses fidèles touche les hommes et les femmes. Inspiré par l’enseignement coranique : « Vous n’atteindrez la (vraie) piété, que si vous faites largesses de ce que vous chérissez…. » (Coran 3, verset 92) et «…Concurrencez donc dans les bonnes œuvres… » (Coran 5, verset 48), les femmes musulmanes ne sont pas en reste dans les actes de piété y compris la création d’awqaf. Dans certains versets du Coran, les femmes sont particulièrement mentionnées : « Et quiconque, homme ou femme, fait de bonnes œuvres, tout en étant croyant… les voilà ceux qui entreront au Paradis; et on ne leur fera aucune injustice, fût-ce d’un creux de noyau de datte » (Coran 4, verset 124). À une autre occasion, il dit : « Les Musulmans et Musulmanes, croyants et croyantes, obéissants et obéissantes, loyaux et loyales, endurants et endurantes, craignants et craignantes, donneurs et donneuses d’aumône, jeûnants et jeûnantes, gardiens de leur chasteté et gardiennes, invocateurs souvent d’Allah et invocatrices: Allah a préparé pour eux un pardon et une énorme récompense. » (Coran 33, verset 35)
À plusieurs reprises, le Prophète Mohamed (prières et bénédiction sur lui) a encouragé les femmes à faire de bonnes actions et à dépenser pour les pauvres et les proches. Il a été rapporté que Zaynab, l’épouse d’Abdullah bin Masʿūd, est allée voir le Prophète et lui a dit que son mari était un pauvre homme mais qu’elle était épanouie avec lui : « Est-ce un acte de mérite spirituel d’aider son mari par ses propres moyens ? » demanda-t-elle. Le Prophète Mohamed (prières et bénédiction sur lui) lui a répondu : « dépenser pour son mari serait doublement méritoire, car il s’agirait de charité et de bienveillance »[3] A partir de cela, il est clair que si une femme riche crée un waqf pour ses parents et amis, elle sera doublement récompensée.

Femmes entrepreneuses au temps des ottomans
Une exploration de l’histoire du waqf révèle que les femmes n’étaient pas seulement des soutiens d’awqaf, mais elles ont également bénéficié d’awqaf mis en place pour -elles-mêmes. Lors de la création d’awqaf, les besoins des individus et de la société étaient avant tout déterminés. Il y a aussi des exemples de femmes affectées au travail de gardien et superviseur (mutawallīyah ou nāẓirah) du waqf et elles l’ont géré avec succès. Les waqfiyyat (actes de waqf) des femmes ont été une source riche en histoire sur les divers aspects de la femme : économique, financier, social, politique, etc. L’institution du waqf offre aux femmes une vaste arène pour démontrer leurs talents et utiliser leurs ressources pour elles-mêmes, pour la société et pour la postérité à travers les âges.
Revue littéraire
On se plaint souvent que très peu de recherches ont été menées sur le rôle des femmes dans l’histoire islamique[4]. Leur rôle dans le waqf est un thème encore moins discuté. Les écrivains sur le waqf n’ont que récemment prêté attention à cet aspect de la femme. Nous n’avons trouvé aucune recherche sur ce sujet avant 1983. Dans une étude bibliographique de littérature sur le waqf en langue anglaise menée par Abdul Azim Islahi en 2003, il a été découvert que seuls trois articles sous le thème « femme et waqf » ont été écrits au cours du siècle dernier[5], en plus de deux autres papiers, l’un sur le thème « famille et waqf » et l’autre sous « awqaf individuels et spécifiques ».Ces études ont porté sur des cas spécifiques. Elles sont conservées dans certains centres de l’histoire islamique tels qu’Istanbul, le Caire, Damas, Alep, etc… où il existe des notes sur les awqaf de femmes notables, comme par exemple, celles appartenant à la cour ottomane et les femmes dans les mariages mamelouks[6]. Il n’y a pratiquement aucun ouvrage sur le rôle des femmes dans le waqf en général.

Tahrir Istanbul
Baer[7] a analysé le rôle des femmes dans le waqf à la lumière du Taḥrīr (libération) d’Istanbul de 1546. Fay[8] a étudié le sujet en évoquant un réexamen de la place des femmes dans le foyer mamelouke au XVIIIe siècle en Égypte ottomane. Petry[9] en a parlé dans « La solidarité de classe contre le gain de genre : les femmes en tant que dépositaires de propriété dans l’Égypte médiévale postérieure ». La recherche de Doumani[10] est liée à la famille dans le waqf, à la dévolution de la propriété et au genre en Syrie durant les années 1800-1860. Abd al-Malik[11] et Crecelius[12] ont étudié « Un waqf égyptien de la fin du XVIIIe siècle réalisé par la sœur du Cheikh Abou al Dhahab qui était mamelouke ». Alors que, au cours des 15 dernières années du vingtième siècle, cinq ouvrages sur la femme et le waqf sont parus, notés ci-dessus. Il n’y a pas de recherche mentionnée sur ce sujet en anglais au XXIe siècle au cours des 18 dernières années
Contrairement à la langue arabe. Nous n’avons trouvé aucune étude d’écrivains arabes sur « la femme et waqf» dans le siècle dernier. Mais la situation a changé au XXIe siècle.

Najd
Maintenant, il y a beaucoup de doctorats et mémoires en master liés au thème des femmes et du waqf. Étonnamment, la plupart de ces recherches ont été effectuées par les femmes elles-mêmes. Dalal al-Harbi[13] a étudié l’apport de la femme dans les dotations en livres de la région du Najd. Riham Khafaji[14] a exploré les awqafs des femmes en se référant à leur contribution au développement culturel. L’étude est limitée aux awqaf égyptiens créés par les femmes pour les programmes de bienfaisance et de bien-être. Majidah Makhluf a publié un volume sur les awqaf érigés par les épouses des sultans ottomans. Awdah al-Shirʿah a étudié le waqf d’une femme à Damas pendant la période ayyubide. Iman al-Humaidan[15] a écrit une étude sur les relations entre la femme et le waqf au Koweït.
Ce présent article ne se limite pas à une période ou à un pays spécifique. Il étudie le rôle général des femmes dans la création, la continuité et les changements du waqf. Il fait valoir que les femmes ont plus d’avantages pour créer un waqf et que cette institution a joué un rôle important dans l’autonomisation économique des femmes. Il met également en lumière le rôle des femmes en tant que gardienne et gestionnaire de waqf. Enfin, il visualise la signification de waqfiyyat pour divers aspects des études sur les femmes dans le passé. Bien qu’il s’agisse d’un simple aperçu du rôle des femmes dans la création et la gestion du waqf, il est à espérer que ce document attirera l’attention des universitaires et des chercheurs qui entreprendront des études détaillées sur les divers aspects de ce sujet.
Les femmes ont plus de capacité pour créer un waqf
En Islam, la femme n’a aucune obligation de dépenser pour la famille et de gagner de l’argent pour entretenir leur foyer. Il est du devoir de l’homme de dépenser pour sa femme et ses enfants. Avant le mariage, élever sa fille et dépenser pour son éducation et sa formation relèvent de la responsabilité exclusive du père. En l’absence du père, son parent le plus proche (frère, oncle, etc.) doit assumer cette responsabilité. Après le mariage, son mari doit la soutenir financièrement. Il n’a pas le droit de prendre quoi que ce soit des revenus de sa femme sans son consentement. Même si la femme est riche, son mari est toujours tenu de supporter tous ses frais financiers. Elle a aussi des droits de succession. Le Coran dit : « Pour les hommes, c’est une part de ce que les parents et leurs proches parents laissent ; et pour les femmes, il s’agit d’une part de ce que les parents et les proches parents laissent, qu’il y en ait peu ou beaucoup, une part déterminée » (Coran 4, verset 7). L’Islam a libéré les femmes de toutes responsabilités financières tout en leur donnant divers droits économiques qui améliorent effectivement leurs actifs. On peut noter que, pour cette raison, les fils et certains autres parents masculins touchent deux fois plus que la femme parce que seuls les hommes doivent supporter les frais d’entretien de la famille. Les femmes ne sont pas soumises à une telle obligation. On peut facilement supposer que la moitié reçue par les femmes restera intacte car elles n’ont aucune responsabilité financière. Au contraire, elles peuvent augmenter en obtenant de l’argent d’autres sources, tandis que la part de l’homme commencera à diminuer en raison de ses obligations financières.

Souk Tripoli Liban
Selon Doumani[16] : « au moins à Tripoli, environ la moitié des propriétés dotées par les femmes ont été acquises par héritage ». Les femmes sont également autorisées à exercer diverses activités économiques et à tirer profit de leurs revenus. Le Coran a insisté sur ce point en mentionnant séparément que «… et aux femmes la part qu’elles ont acquise… », comme il est dit à propos des hommes : « aux hommes la part qu’ils ont acquise » (Coran, 4, verset 33).
Parmi les compagnons du Prophète Mohamed (prières et bénédiction sur lui), il y a plusieurs exemples de femmes qui faisaient de l’agriculture. Hadrat Jabir b. Abdullah rapporte que le Prophète Mohamed (prières et bénédiction sur lui) a autorisé sa tante maternelle (khalah) à aller travailler dans son jardin de dattes au lieu de rester chez elle après son divorce afin qu’elle puisse dépenser ses revenus dans des actes de bienfaisance[17]. Asma bint Abu Bakr, la sœur de la mère des croyants Aisha, aidait son mari Zubayr b. al-Awwam dans les travaux agricoles[18]. Ils ont également participé à des activités commerciales et négoces. La mère des croyants, Khadijah, a eu un commerce international au cours de la période préislamique, qu’elle a poursuivi après l’avenue de l’Islam[19] Qilah al-Anmariyyah était également une femme d’affaires. Elle a interrogé le Prophète Mohamed (prières et bénédiction sur lui) sur les négociations en matière de vente et d’achat. Il lui a conseillé d’éviter de demander des prix irréalistes[20]. Al-Rubayyiʿ bint al-Muawwadh était engagée dans le commerce de parfum à Médine[21]. Hawla possédait une entreprise de parfums si réputée qu’elle était connue sous le nom d’al-aṭṭarah[22]. Les femmes ont également adopté le métier de manufacturier et d’artisan. Par exemple, la mère des croyants, Zaynab Bint Jahsh, était une experte en artisanat. Elle fabriquait divers articles à vendre; et en dépensait le revenu dans le chemin d’Allah, car elle n’avait pas besoin d’argent pour ses propres dépenses[23]. Zaynab, l’épouse d’Abu Masʿud Ansari, était une experte dans l’artisanat. Elle a volontairement dépensé de l’argent pour son mari et ses enfants, car il était incapable de gagner de l’argent[24].
En outre, l’Islam a donné droit aux femmes à un paiement financier appelé mahr ou ṣidāq (dot) de la part de leurs maris au moment du mariage. « Et donnez aux femmes (que vous épousez) leur dot avec un bon cœur, mais si elles, de leur propre bon plaisir, vous en laissent une partie, alors prenez-la et profitez-en avec plaisir et bienveillance » (Coran 4, verset 4).
Les femmes peuvent aussi recevoir des actifs en cadeau et de grosses sommes d’argent sous forme de dons. Le Coran interdit de reprendre de tels cadeaux en cas de divorce : « Ne récupérez pas une femme divorcée, même si vous avez donné à l’une d’entre elles un qinṭār d’or. » (Coran 4, verset 20). Selon Ibn Abi Hatim[25], il existe différentes interprétations du mot qinṭar allant de 1 000 dinars d’or à 80 000 dinars d’or. On dit aussi que qinṭar signifie ici une montagne d’or.
Comme indiqué ci-dessus, si une femme musulmane gagne de l’argent, elle n’est pas responsable du soutien de la famille et elle peut dépenser ses revenus comme elle le désire. Cependant, puisque les femmes ont un droit de propriété indépendant de leurs maris, et ont diverses sources de revenus, elles sont également tenues d’accomplir divers actes de piété et de s’acquitter de leurs obligations pécuniaires telles que le paiement de la zakat, l’aide aux pauvres, les dépenses volontaires d’actes de charité et de bien-être social, y compris les awqaf. Donc, les femmes en Islam ont beaucoup plus de ressources disponibles pour créer des awqaf. Il n’est donc pas surprenant que le waqf de Zaynab Khatun soit « l’un des plus importants créé par une femme d’élite au XVIIIe siècle » en Égypte.[26]
Les awqaf des femmes : continuité et changement
L’histoire du waqf a commencé au temps du Prophète Mohamed (prières et bénédiction sur lui) et cette institution a été mise en place à travers tous les temps. Presque tous les compagnons du Prophète qui avaient des biens, ont créé des dotations tel qu’Allah (Exalté soit-Il) l’a demandé. Cela a été rapporté par Jabir b. Abd-Allah[27]. Bien sûr, les compagnons étaient des hommes et des femmes. Ainsi, il y a des récits sur un certain nombre de femmes « compagnons » qui ont légué des biens. Le précédent a été créé par la famille du Prophète Mohamed (prières et bénédiction sur lui) lui-même.
Voici quelques noms rapportés par al-Khassaf[28]. Il raconte que la mère des croyants, Aisha, a acheté une maison et la dédié. Elle a écrit : « J’ai acheté une maison et elle est dédiée à l’usage pour lequel je l’ai achetée. Ce sera un lieu de résidence pour tel et tel et sa progéniture et une résidence pour tel et tel (pas pour sa descendance) » et puis il sera rendu à la descendance d’Abou Bakr (son père) »[29]. La mère des croyants, Umm Salmah, a également créé un waqf avec la condition qu’il ne soit ni vendu, ni donné, ni hérité. La mère des croyants, Safiyyah bint Ḥuyayy a doté à jamais une maison de Bani ʿAbdan[30]. De même, les mères des croyants, Umm abībah et Ḥafṣah ont également établi des awqaf (que le Tout-Puissant Allah soit satisfait de tous)[31].
Des femmes très riches ont participé à l’établissement d’awqaf tout au long de l’Histoire islamique. Dans cet acte de piété, des femmes de la classe moyenne et de l’élite ont également participé. Mais les historiens ont accordé peu d’attention aux femmes des couches inférieures de la population. Ils notaient généralement des awqaf de femmes appartenant aux familles royales et à la classe élite. L’histoire passée a été principalement l’histoire des rois et de leurs cours.
Cependant, la tendance est en train de changer maintenant. Dans la période moderne croissante une attention est accordée à l’histoire des conditions sociales et économiques de tous les membres de la société. C’est la raison pour laquelle nous avons maintenant plus d’informations sur les awqaf des femmes. En fait, une autre raison possible d’avoir ignoré les awqaf des femmes non-élites peut être le fait que leurs awqaf n’étaient pas assez volumineux pour attirer l’attention[32].
Voici quelques exemples tirés de la longue histoire de l’Islam.

Zybaidah bint Jafar
Zubaydah (déc. 216H / 831), épouse du calife abbasside Harun al-Rashid, a construit un cours d’eau pour les pèlerins de La Mecque et leur a dédié. Il a servi les pèlerins jusqu’à ce que d’autres sources d’eau soient découvertes à notre époque[33].

Université al-Qarawiyyin
L’un des awqaf les plus importants et les plus anciens de L’Afrique du Nord ou de l’Ouest a été doté par une riche femme connue en tant que Fatimah, fille d’Abdullah al-Fihri, chargée de fonder l’Université d’Al-Qarāwīyīn en 245AH[34].
Selon al-Maqrizi[35], Taghrīd, épouse du calife fatimide al-Muizz Billah, dota de nombreux awqaf de diverses mosquées qui étaient des centres d’éducation. Sa dotation à la mosquée Al-Qurafah était considérée comme voisine de Jami al-Azhar.

Al-Madrasa al-Khatuniyya
L’épouse de Nur al-Din al-Zanki, Ismat al-Din, a créé une école hanafite au cœur de Damas connue sous le nom d’al-Madrsah al-Khatuniyyah en 570H / 1174[36].
La dynastie Ayyubid est bien connue dans l’histoire pour la création d’awaqf à des fins différentes, telles que l’éducation, la santé, l’eau potable, des repas gratuits pour les pauvres et les voyageurs[37],… Comme indiqué ci-dessus, l’histoire enregistre généralement un groupe de membres des familles royales. Un tel exemple est celui de Khadijah Khatun, fille de Sultan Isa b. Al-Malik al-Adil, qui a doté un magnifique waqf d’une madrasa à Damas[38].
Le célèbre historien al-Dhahabite a écrit à propos de Zamurrad Khatun (mort en 599/1202), mère du calife Nasir li-Din-Allah, qui a doté de nombreux awqaf (écoles, mosquées, riba,s et autres sources de piété)[39].
Dans une étude, Humphreys[40] note qu’à Damas, « le patronage le plus intense et le plus durable de l’architecture religieuse par les femmes » a été observé « au cours des quatre-vingt-cinq années qui ont précédé l’entrée de Saladin dans la ville en 1174 et la période mongole. Occupation de 1260 ». L’épouse du Magnifique sultan ottoman Sulaymān, Haseki Hürrem, a créé un waqf pour soutenir les lieux saints de l’Islam : al-Quds, La Mecque et Médine. En Palestine, elle a donné des villages, des terres agricoles, des moulins et d’autres propriétés pour la création et le soutien perpétuel des mosquées, d’une soupe populaire et d’une auberge pour les pèlerins musulmans se rendant à La Mecque[41]. Selon Afifi[42], l’histoire ottomane du waqf regorge d’exemples de ce type.

Madrasah as-Sawlatiyah
En Inde, l’histoire du waqf est aussi ancienne que la domination musulmane. Le pays a été gouverné par un certain nombre de dynasties et toutes ont laissé des milliers d’awqaf dans toutes les régions du pays. Les dotations remarquables de waqf par les hommes et les femmes ont continué même après l’abolition de leur règne. Begum Sawlatunnisa, une femme indienne connue pour sa générosité, s’est rendue à La Mecque au cours du dernier quart du 19e siècle, faire le hajj. Elle a remarqué une madrasa à Masjid Haram dirigée par Shaykh Rahmatullah Kayranwi (1818-1891), un érudit islamique d’origine indienne, mieux connu pour son opus magnum « Iẓhār al-Ḥaq ou La vérité révélée ». Elle voulait donner une belle somme pour la madrasa. Le cheikh lui suggéra d’acheter un terrain à proximité du Haram pour y déplacer la madrasa, et c’est ce qu’elle fit. Cheikh Kayranwi lui a attribué l’école et l’a baptisée «Madrasah Sawlatiyyah». Elle a été fondée en 1875/1292 H. et existe encore de nos jours. Une fois, feu le roi Abdulaziz aurait dit : « Madrasah Sawlatiyyah est la Jami’ al-Azhar de mon pays ».
En Égypte, Zaynab Hanum Afendi (décédée en 1302/1885), fille de Muhammad Ali, a doté de 10299 feddan (environ 4 200 m2 le feddan) de terres et un certain nombre de bâtiments destinés à diverses fins, telles que l’éducation, les hôpitaux, les mosquées, la récitation du Coran, etc[43].
Humphreys, dans son article « Les femmes en tant que patronnes de l’architecture religieuse », affirme qu’à Damas, le patronage des femmes pour l’architecture religieuse et les institutions d’apprentissage date de 1110-11. Selon lui, entre 1174 et 1260, Damas a vu « un nombre exceptionnellement élevé de femmes entrepreneuses dans cette ville de taille moyenne au cours d’un siècle. »[44]. Berkey constate que cette tendance s’est poursuivie au cours des siècles suivants. Par exemple, au XVIe siècle, les écoles religieuses et d’autres institutions dotées par des femmes à Damas étaient plus nombreuses que celles du Caire[45].
Au fil du temps, le nombre d’awqaf pourvus par les femmes a considérablement augmenté. Fay rapporte[46] que, d’après une enquête menée par Creceliusin auprès de trois tribunaux du Caire dans cinq périodes différentes entre 1640 et 1802, il a été constaté que « les hommes et les femmes ont établi le plus grand nombre d’awqaf ». Se référant au ministère des Awqaf, Fay découvrit une augmentation du nombre d’awqaf par les femmes à partir du milieu du XVIIIe siècle. Ainsi, au cours de la première moitié du XVIIIè siècle, seuls sept actes de waqf de femmes donnatrices ont été enregistrés dans l’indice du ministère, tandis que 106 ont été enregistrés pour la période de la seconde moitié du XVIIIè siècle, soit 35 fois plus (Ibid.). Selon Fay, « les femmes représentaient 25% du nombre total de donneurs dont le waqfiyyat se trouve dans les archives du ministère. »[47].
Les recherches de Roded ont montré que du 16e au 20e siècle, « le pourcentage de femmes parmi les fondateurs de fonds de waqf variait de 17% à 50%, avec une moyenne provisoire d’environ 35% »[48]. Un autre chiffre relatif aux dotations fondées par des femmes est qu’au XVIIIe siècle, les femmes constituaient 40 à 50% des fondateurs du waqf à Alep et, selon une estimation, environ 25% de celles du Caire à la même période.[49]
Doumani, dans son article « Donation familiale : waqf, dévolution de propriété et genre dans la Grande Syrie, 1800-1860», a découvert qu’à Naplouse, seulement 11,6% du nombre total des awqaf ont été dotés par des femmes; mais à Tripoli, ils représentaient plus de 47% du total. Les études menées à Istanbul, au Caire, à Alep et à Jérusalem, révélent que 25 à 40% des awqaf ont été dotés par les femmes, Nablus et Tripoli étant à deux extrémités opposées[50].
Une exploration du rôle des femmes dans la création du waqf montrerait que les femmes possédaient divers types de biens, de même que la composition de leurs dotations. Elles ont également pris conscience des divers besoins de la société et, en conséquence, elles ont consacré des awqaf à ces fins. Ainsi, le waqf des femmes a été l’objet à la fois de continuité et de changement en fonction des impératifs de l’époque, ce qui se reflètait dans la composition et les objectifs de leur awqaf.
Composition et but des awqaf des femmes
Dans la société de Médine, l’eau et un toit étaient les besoins les plus élémentaires. Comme nous l’avons noté ci-dessus, les mères des croyants, Aisha et Ṣafiyyah, ont doté des maisons pour loger des personnes sans abri. La mère des croyants, Ḥafṣah, a estimé que les femmes pauvres étaient incapables d’acheter des ornements à utiliser pour leur mariage et pour d’autres occasions. Elle a donc acheté des bijoux d’une valeur de vingt mille dirhams qu’elle prêtait à ces fins[51]. Au fur et à mesure que la société musulmane progressait, d’autres besoins fondamentaux, ainsi que des besoins secondaires et tertiaires ont été couverts. L’histoire du waqf nous donne des exemples de telles dotations. En tant que membres de leur société, les femmes ont créé des awqaf pour diverses raisons liées à leur classe et ont activement répondu aux besoins sociaux et économiques de leur époque.
Selon Hallaq[52] et Humphreys[53], les waqfiyyat laissés par les femmes révèlent qu’elles ont consacré des unités commerciales, résidentielles et agricoles urbaines à la promotion de la religion, à l’éducation et à la formation, à la santé et au soutien des enfants, diverses institutions caritatives s’occupant des pauvres et les nourrissant.

Ayyubid Damascus
Humphreys[54] a étudié 26 institutions à Ayyubid Damascus et a découvert que 15 d’entre elles étaient des institutions d’enseignement, six khanqahs[55] et ribaṭs[56]; et cinq tombeaux. À son avis, malgré quelques petites différences, « les institutions privilégiées par les femmes ne diffèrent pas de manière évidente de celles parrainées par les hommes »[57]. Fay a donné un compte détaillé des types de propriétés dédiées par les femmes au Caire au 18ème siècle : « Les divers types de biens comprenaient makān (pl. Amākin), différents types de magasins, des ateliers, des entrepôts dans des immeubles d’habitation, bâtiments commerciaux et rabs, ainsi que des moulins, des roues hydrauliques, des abreuvoirs, des sources, des cours, des jardins, des cafés, des bains publics et des terres agricoles productives. En bref, les femmes possédaient et dotaient toutes sortes de biens générant des revenus, y compris une entreprise dans laquelle les corps de musulmans morts étaient préparés pour l’inhumation. »[58]
Au début du XXe siècle, lorsque l’administration britannique en Égypte a mis en place une politique visant à réduire les dépenses en éducation et les services publics, les femmes égyptiennes, ainsi que les hommes, « ont réagi en créant des écoles, des hôpitaux et des orphelinats. … De nouvelles constructions à l’européenne sont apparues et les femmes les ont soutenues grâce à des dotations, telles que des écoles pour filles, des orphelinats et des écoles modernes. »[59]
Al-Humaidan a fourni un compte rendu détaillé des awqaf des femmes pour les services de santé, d’éducation et de formation, les bibliothèques et les livres, les orphelinats, les services sociaux, les awqaf pour le mariage des filles, etc…[60]
Le Waqf en tant que source d’autonomisation économique des femmes
Le waqf est considéré, entre autres, comme une source très efficace d’autonomisation des femmes. Les femmes ont créé des awqaf pour elles-mêmes, pour leur postérité et pour d’autres femmes. Les hommes ont également doté des awqaf pour le bien-être des femmes. Dans l’histoire de l’Islam, il y en a eu exclusivement dédié à l’aide aux femmes. Zubayr ibn al-Awwam a consacré des maisons à ses filles non mariées[61]. Ibn Battutah a déclaré avoir trouvé des awqaf à Tunis et en Syrie pour le mariage de filles pauvres[62]. Nous avons de nombreux cas de ce type enregistrés tout au long de l’histoire islamique.
On notera que, dans l’héritage d’une personne décédée, l’homme obtient le double d’une femme, mais que s’il crée un waqf familial, il est autorisé à stipuler des avantages égaux pour sa descendance masculine ou féminine[63]. Les juristes ont également précisé que, si quelqu’un crée un waqf pour ses enfants, sa descendance féminine sera incluse sans discrimination. Tout le monde sera payé de façon égale[64]. Ainsi, l’institution de waqf offre aux femmes de grandes possibilités de se soutenir financièrement et de contribuer à l’émancipation économique des autres femmes.
Selon Hallaq, le waqf était plus souvent utilisé comme un moyen « non seulement d’attribuer aux héritières de plus grandes parts que ce dont elles auraient hérité par les règles coraniques, mais aussi de créer une sorte de système matrilinéaire de dévolution de propriété »[65]. Selon Fay[66], le système du waqf pourrait fournir un certain degré de « protection à une élite soucieuse de préserver et de transmettre ses biens ».
Les awqaf familiaux permettent à une personne « d’adapter la conception d’un filet de sécurité sociale à long terme en prévision des crises familiales trop courantes, telles que celles provoquées par la mort ou le divorce »[67]. C’est la même raison pour laquelle les petits-enfants, les neveux et les nièces orphelins qui n’avaient pas droit aux actions de la succession ont été les bénéficiaires les plus souvent mentionnés des awqaf de famille. En se référant aux documents de la Cour islamique de Tripoli ((TICR), 42:40, 154), Doumani[68] déclare que « La même motivation a amené certaines femmes remariées à conférer à leurs enfants une propriété issue d’un précédent mariage, car, on suppose, ils étaient convaincus qu’ils ne pouvaient compter ni sur le nouveau mari ni sur le père des enfants pour subvenir à leurs besoins ».
Une femme « pourrait être l’un des bénéficiaires d’un waqf lui donnant droit à une part de son revenu. En outre, si elle était nommée naẓira d’un waqf, une femme pourrait contrôler un bien parfois considérable, des biens et des revenus, ainsi que le traitement affecté au poste de naẓira[69].
Les femmes riches ont utilisé l’institution de waqf au profit d’autres femmes en les déclarants bénéficiaires de leurs awqaf. Fay note de nombreux exemples de ce genre parmi les responsables mamelouks d’Égypte au XVIIIe siècle. Par exemple, une femme appelée Zulaykha Khatun Bint Abd Allah al-Bayda a nommé deux femmes : Madina et Zabiba parmi les bénéficiaires des revenus de son waqf. Elle a précisé que les deux parties devaient recevoir des parts égales du waqf[70]. Le waqf ayant une sorte de sacralité qui l’entoure, de nombreuses femmes fortunées l’ont utilisé comme moyen de protéger leurs biens immobiliers ou commerciaux et résidentiels urbains pour se procurer un revenu en se déclarant bénéficiaires du waqf.
Gestion du Waqf par les femmes
Une femme peut être responsable ou superviseur d’un waqf[71]. La mère des croyants, Ḥafṣah bint Umar en est son meilleur exemple. Elle s’est occupée du waqf de son père Umar[72]. Au cours de l’histoire musulmane, les femmes ont été éligibles pour servir de contrôleurs d’awqaf. Il n’y a eu aucune entrave dans l’affectation des femmes à cette responsabilité. Nombreuses ont été celles qui ont exercé cette fonction au XVIe siècle[73]. On peut noter que les femmes peuvent se nommer bénéficiaires du revenu au cours de leur vie et assumer la tâche de gestion et de supervision du waqf. Mary Fay étudia les waqfiyyat des femmes écrites au cours de l’Égypte ottomane au XVIIIe siècle et découvrit un modèle selon lequel « la plupart des femmes fondaient des awaqf ahlī (waqf privé ou waqf familial) dans leurs propres awqaf. Elles nommaient bénéficiaires du revenu au cours de leur vie et se sont également désignées comme les nāẓira de leurs propres awqaf »[74]. Elle appuie également sa conclusion sur l’analyse faite par Baers du taḥrir d’Istanbul qui a révélé des raisons similaires à la création d’awqaf par des femmes et à « la désignation de la donatrice comme administratrice de son waqf de son vivant et la donation des revenus du waqf pour elle-même, puis pour ses enfants et la libération de ses esclaves après sa mort[75].
Au XVIIIè siècle, une femme nāẓirah avait un pouvoir considérable. Elle pouvait choisir des secrétaires qui l’assistaient de plusieurs manières dans la gestion du waqf. Bahalwan rend compte du devoir des femmes en tant que gardien et administrateur de waqf. Pendant la période ottomane, les femmes remplissaient les fonctions de percepteur des recettes du waqf, payant les salaires de ceux qui étaient employés comme imams, muezzins, récitateur de Coran, enseignants ainsi que les personnes employées pour l’entretien des awqaf, leur supervision et leur préservation, puis elles ont distribué le revenu net des awqaf à leurs bénéficiaires. Si un bénéficiaire décédait, son héritier recevait le paiement selon les conditions du waqf[76].
Une étude a démontré qu’environ 14% des gardiens d’awqaf à différentes époques étaient des femmes et que 25 awqaf majeurs leur étaient dédiés[77]. À l’époque actuelle, de nombreuses femmes musulmanes ont fait preuve d’une aptitude et d’une capacité remarquables à gérer des institutions financières. Par exemple, Zeti Akhtar Aziz, ancien gouverneur de la Negara Bank en Malaisie, Shamshad Akhtar, ancien gouverneur de la State Bank of Pakistan. Dans son numéro du 28 avril 2018, Arab News a publié une liste des six plus grandes femmes entrepreneurs arabes qui gèrent des affaires à des millions de dollars. Cela renforce l’idée que les femmes ont le talent pour gérer les awqaf qui leur sont confiés. Et il n’est pas étonnant que Ḥadrat Umar ait désigné sa fille comme gardien de son waqf malgré la présence de ses fils.
Les documents de waqf des femmes, une source précieuse d’histoire féminine
Avant de conclure, il semble utile de visualiser l’importance du waqfiyyat dans l’étude des situations socio-économiques et politiques passées des sociétés musulmanes et du rôle joué par les femmes. On peut noter qu’un waqf peut être créé oralement, en particulier dans les sociétés peu alphabétisées et où peu de personnes savent lire et écrire. C’était donc le cas au début de l’Islam. Ainsi, les premiers awqaf ont été prononcés oralement et ont été rapportés oralement génération après génération. Comme il existait de plus en plus de possibilités d’avoir des différends avec les rapports oraux sur le waqfiyyat, les actes écrits en waqf ont finalement été mis en place et couronnés de succès.

Document Haseki-Huerrem-Sultan-waqf
L’amélioration de l’alphabétisation a également facilité la tenue de registres écrits d’awqaf. Ces documents étaient généralement conservés par les mutawallis (gardiens de waqf) ou conservés par les bénéficiaires pour les générations à venir. Plus tard, ces documents ont été enregistrés devant les tribunaux pour des raisons de sécurité. Au cours de la période ottomane, toute nouvelle création de waqf a été rendue obligatoire par le tribunal. Ainsi, les archives ottomanes conservent des centaines de milliers d’actes de waqf réalisés par des hommes et des femmes. Actuellement, dans la plupart des pays, l’enregistrement d’awqaf -qu’il soit masculin ou féminin- est devenu obligatoire. Ces archives constituent une source d’histoire précieuse. Les waqfiyyat des femmes constituent, dans une large mesure, un substitut au manque de sources laissées par les femmes elles-mêmes pour l’étude de leurs rôles économique, social et religieux dans l’histoire de l’islam.
A partir de ces actes de waqf laissés par les femmes, nous pouvons connaître différentes raisons pour lesquelles elles ont créé des awqaf. En général, elles dotaient des awqaf pour se perfectionner spirituellement. Mais parfois, elles avaient l’intention de conserver une position sociale ou de soutenir la politique de l’État. Un acte de waqf montre différents degrés de motivations spirituelles et pieuses. Il existe différentes formes de documents waqf, au sommet desquels se trouvent des actes waqfiyyat qui fournissent des « informations de base et supplémentaires informant sur des détails tels que le donateur, tous les témoins, la description des biens dotés tels que biens immobiliers, terres agricoles, argent, les conditions de la dotation, le superviseur et ses fonctions, les bénéficiaires et les montants alloués, leur durée, leur entretien, leur fonctionnement quotidien, etc. »[78] Ils fournissent également des informations sur les femmes notables et les femmes de classe moyenne, les intérêts familiaux impliqués dans certains awqaf, la classe sociale des bailleurs de fonds par leurs titres ou leurs lieux de résidence, l’histoire matrimoniale, le montant de la richesse et la taille de leurs affinités politiques et relations au sein de leur famille et de leur ménage. Les registres des tribunaux concernant les documents waqf sont similaires à ceux de waqfiyyat. Ils fournissent des informations similaires, telles que des détails sur le nom du donateur, les biens dotés, l’objectif de la dotation, la date et parfois le nom du juge et des témoins. Les rapports périodiques et les bilans des mutawallis et des nāẓirs constituent une troisième forme de documents waqf. On peut également connaître d’eux les noms du créateur du waqf, son but et ses objectifs, les bénéficiaires, leurs actions, etc.
Selon Zeinab Abul-Magd, au cours des dernières décennies, des chercheurs et des universitaires ont accordé une attention croissante aux documents waqf, principales sources primaires de l’histoire socioéconomique et politique des femmes musulmanes. Ils les utilisent également « pour écarter l’assomption orientaliste des positions marginales et des rôles passifs des femmes dans l’histoire islamique. Ils montrent comment les droits économiques des femmes leur ont permis de doter différents types de biens pour soutenir diverses institutions caritatives au cours de l’histoire de l’islamisme. »[79]
Remarques finales
L’institution du waqf a commencé en Islam avec une instruction très simple : conserver le corpus d’un actif intact, que la propriété ne soit pas vendue, héritée ou donnée en cadeau. Le waqf était consacré aux pauvres, aux plus proches parents, à l’émancipation des esclaves, et sur le chemin d’Allah (Exalté soit-Il), ainsi qu’aux invités, à condition qu’il ne devait pas être légué et que son usufruit était utilisé à bon escient ou pour descendance[80] Ces brèves instructions sur le waqf se sont avérées être le début d’un magnifique développement de la littérature dans divers domaines de la connaissance : la jurisprudence du waqf, son droit, l’économie, la sociologie, la politique, l’histoire, etc. Les hommes et les femmes de toutes les classes ont participé à la dotation en waqf. Cependant, l’histoire passée étant principalement une histoire politique dans laquelle le principal acteur a été l’homme, on a accordé moins d’attention au rôle des femmes dans différents domaines de la vie, plus particulièrement du rôle des femmes dans la création du waqf. Mais maintenant, la tendance est en train de changer. Et les femmes elles-mêmes accordent de plus en plus d’attention à la découverte de divers aspects du waqf.
La dotation en waqf peut être prononcée oralement et doit être également exécutoire. La pratique initiale était la dédicace verbale qui a été rapportée par les témoins, les bénéficiaires et leurs héritiers. Mais plus tard, les documents écrits sont devenus la norme. À l’époque ottomane, l’enregistrement des documents waqf (waqfiyyah) auprès du qāḍī (juge) était obligatoire.
Peu à peu, ces documents ont formé une montagne de registres (sijillāt). Les archives ottomanes possèdent un vaste trésor de waqfiyyat qui peut être exploré pour connaître le rôle des femmes musulmanes dans les affaires socio-économiques et politiques de leur époque. Dans l’histoire, il y a un manque d’écriture chez les femmes et à propos des femmes. Les waqfiyyat laissés par les femmes comblent en partie cette lacune.
Ainsi, ils sont la principale source d’histoire des études sur les femmes, car ils fournissent des informations personnelles complètes à leur sujet.
Des études ont montré que le rôle joué par les femmes dans la création du waqf était inférieur à celui des hommes, mais théoriquement, les femmes avaient plus de capacité que les hommes pour créer des awqaf car elles jouissaient de tous les droits de revenus, alors qu’elles n’avaient aucune obligation de les dépenser pour leur enfants ou même elles-mêmes. Leurs awqaf pouvaient dépasser de nombreux awqaf créés par les hommes quand ils étaient correctement gérés.
L’histoire du waqf nous indique que les femmes ont créé des awqaf dès les premiers jours de l’Islam et que cette tendance se poursuit même de nos jours. Elles ont été à la fois des donatrices et des bénéficiaires. Elles ont toujours considéré le besoin de la société pour un créer un waqf. Dans la société de Médine, elles s’occupaient de ses besoins essentiels et fournissaient des objets dédiés pouvant fournir un abri, de la nourriture et de l’eau potable, ainsi que les besoins spéciaux des femmes en vêtements de mariage et bijoux. Au fur et à mesure que la société progressait et que la population augmentait, les mosquées, les madrasas, les bibliothèques, les hôpitaux et les complexes commerciaux générateurs de revenus étaient consacrés à la satisfaction des besoins grandissants des démunis. Elles ont également utilisé l’institution du waqf pour protéger leurs biens pour elles-mêmes et pour leur postérité. De cette manière, le waqf était une source importante d’autonomisation économique des femmes. Contrairement au système de succession de l’Islam dans lequel les héritiers ont des parts fixes dans les actifs du défunt, l’institution de waqf fournit un outil flexible aux personnes qui souhaitent adapter leurs plans de transmission de propriété. En vertu des lois familiales sur le waqf, un bailleur de fonds peut dédier toute sa succession et choisir les personnes – hommes ou femmes et lignées d’origine – pouvant tirer profit de l’utilisation du bien doté et de ses revenus. Le Waqf est également très différent du waṣiyyah (testament) où seul le tiers du maximum est autorisé à faire hériter et où les héritiers qui obtiennent une part de la propriété sont exclus du testament.
Les femmes ont également exercé les fonctions d’administrateur et de gardien d’awqaf. Elles ont fait preuve d’aptitude à la gestion des awqaf à différents stades de l’histoire. L’administration d’entreprises financières par un certain nombre de femmes du monde contemporain a prouvé hors de tout doute qu’elles sont pleinement compétentes pour assumer cette responsabilité, même aujourd’hui. Le waqf a offert un vaste champ d’action aux femmes pour leur permettre de démontrer leur puissance, leurs talents et leurs compétences, et il a encore le potentiel pour le faire. Il faut les encourager.
[1] Professeur et rédacteur en chef, Journal of King Abdulaziz University – Islāmic Économie, Jeddah, Arabie Saoudite.
[2] Les waqfiyyāt, sing. waqfiyya sont des actes légaux par lesquels sont immobilisés en biens de mainmorte des propriétés mobilières, immobilières ou foncières au profit de personnes désignées ou de fondations pieuses tels qu’hôpital, mosquée, écoles etc. ou au profit des pauvres et des nécessiteux.
[3] Ibn Athir (n.d.), Usd al-Ghabah fi Tamyiz al-Sahabah, Beirut, Dar Ihya’ al-Turth al-Arabi, vol. 5.
[4] Hambly, G. R. G. (1998). Becoming Visible : Medieval Islamic Women, in Historiography and History. Women in the Medieval Islamic World. G. R.G. Hambly. London, Macmillan Press Ltd.
[5] Islahi, Abdul Azim (2003), Waqf: A Bibliography, Jeddah, Scientific Publishing Centre, King Abdulaziz University
[6] Abul-Magd, Zeinab A. (2007), Religious Practices: Waqf: Overview, in Suad Joseph (ed.), Encyclopedia of Women and Islāmic Cultures, Volume V.
[7] Baer, Gabriel (1983), “Woman and Waqf: An Analysis of the Istanbul Taḥrīr of 1546”, in Asian and African Studies, Vol.17, pp. 9-27.
[8] Fay, Mary Ann (1997), “Women and Waqf: Towards a Reconsideration of Women’s Place in the Mamluk Household”, International Journal of Middle East Studies, Vol. 29, No. 1, pp. 33-51.
[9] Petry, C. (1991), “Class Solidarity versus Gender Gain: Women as Custodians of Property in Later Medieval Egypt”, in Keddie, N. and Baron, B. (eds.), Women in Middle Eastern History, New Haven, USA, Yale University Press, pp. 122-142.
[10] Doumani, Beshara (1998), Endowing Family: Waqf, Property Devolution, and Gender in Greater Syria, 1800 to 1860, Society for Comparative Study of Society and History, Volume 40 Issue 1. Also available at: el-Zawahreh, Taisir Khalil Muhammad (1995), Religious Endowments and Social Life in the Ottoman Province of Damascus in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Karak (Jordan), Mutah University
[11] Abd-al-Malik, Butrus, and Crecelius, Daniel (1990), “A Late Eighteenth Century Egyptian Waqf Endowed by a Sister of the Mamluk Shaykh al-Eyey [sic] Muhammad Bey Abou al Dhahab”, Arab Historical Review for Ottoman Studies, Vol. 1, No. 2, pp. 9-14.
[12] Crecelius (1986), The Incidence of Waqf Cases in Three Cairo Courts, Journal of the Economic and Social History of the Orient, 29: 176-89.
[13] al-Harbi, Dalal (2001), Isham al-mar’ah fi waqf al-kutub fi Minṭaqat al-Najd fi al-Qarnayin – al-Sabi’ ashar wa al-thamin ashar, (Contribution of woman in books endowments in the region of Najd during the 17th and 18th centuries), al-Riyad, Maktabat al-Malik Fahd al-Wataniyah.
[14] Khafaji, Riham Ahmad (2003), Awqāf al-Nisā› (Women’s waqfs) – a case study of Egypt in the first half of twentieth century. Awqāf (Kuwait), Year 3, No. 4, pp. 11-40.
[15] al-Humaidan, Iman Muhammad (2016), Al-Mar’ah wa’l-waqf – al-’Ilaqah altabaduliyah (Woman and waqf – Mutual relation), Kuwait, al-Amanat al-Ammah li’l-Awqāf.
[16] Doumani, Beshara (1998), Endowing Family: Waqf, Property Devolution, and Gender in Greater Syria, 1800 to 1860, Society for Comparative Study of Society and History, Volume 40 Issue 1. Also available at: el-Zawahreh,Taisir Khalil Muhammad (1995), Religious Endowments and Social Life in the Ottoman Province of Damascus in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Karak (Jordan), Mutah University
[17] al-Qushayri, Abu al-Husayn Muslim (n.d.), al-Jāmi› al-Ṣaḥiḥ or Ṣaḥiḥ Muslim, Beirut, Dar al-Jil and Dar al-Afaq al-Jadidah. (al-Qushayri (undated), 4: 200, Ḥadīth no. 3794)
[18] (al-Bukhari, 2002, 3: 1679-80, Ḥadīth no. 5224)
[19] (Ibn Kathir, al-Sirah al-Nabawiyyah, 1: 262-63)
[20] (Ibn Athir, n.d., 5: 535)
[21] Ibn Abd al-Barr, 2002, p. 396
[22] ibid. 5: 532-33
[23] Ibn Athir, n.d., 5: 465
[24] ibid. 5: 463
[25] Ibn Abi Hatim (nd., 3: 906-07)
[26] Baer, 1983, cité par Fay, 1997, p. 39
[27] Ibn Qudamah, 1983- 6: 185
[28] al-Khassaf, Abu Bakr Ahmad b. Amar (1904), Aḥkām al-Awqāf, Cairo, Diwan Umum al-Awqāf al-Miṣriyah. (déc. 261 H)
[29] Al-Khassaf, 1904, p. 13
[30] Al-Khassaf, 1904, p. 14
[31] Ibid. P. 13-14
[32] Fay, 1997, 41
[33] Al-Humaidan, Iman Muhammad (2016), Al-Mar’ah wa’l-waqf – al-’Ilaqah altabaduliyah (Woman and waqf – Mutual relation), Kuwait, al-Amanat al-Ammah li’l-Awqāf. p. 39
[34] Arnawut, Muhammad (2014), Waqf al-mar’ah fi al-Islām, Beirut, Jadawil al-Nashr wa al-Tarjamat wa’l-Tawzi`. Arnawut, 2014, p. 12-13
[35] Al-Khitat (non daté), 2: 318
[36]Arnawut, 2014, p. 62-9
[37] Al-Humaidan, Iman Muhammad (2016), Al-Mar’ah wa’l-waqf – al-’Ilaqah altabaduliyah (Woman and waqf – Mutual relation), Kuwait, al-Amanat al-Ammah li’l-Awqāf. 2016, p. 41-45
[38] Al-Naimi, Abd al-Qadir (1367 H), al-Dāris fi Tārikh al-Madāris (Reader in History of Religious schools), edited by Jafar al-Hasani, Damascus, al-Majma’ al-Ilmi al-Arabi. 1367 H., 1: 443
[39] Al-Dhahabi, Shams al-Din (1987), Tarikh al-Islām, Beirut, Dar al-Kitab al-Arabi.1987, 12: 1167.
[40] Humphreys, Stephen (1994), “Women as Patrons of Religious Architecture.” In Muqarnas XI: An Annual on Islāmic Art and Architecture. Gülru Necipoglu (ed.). Leiden: E.J. Brill. (1994, p. 5)
[41] Peri, Oded (1989), Waqf and Ottoman Welfare Policy: The Poor Kitchen of Hasseki Sultan in Eighteenth-Century Jerusalem. Journal of the Economic and Social History of the Orient, 35, 167-186. (Peri, 1989, p. 169)
[42] Afīfī, Muḥammad (1991), Al-Awqāf wa al-Ḥayāt al-Iqtiṣādiyyah fi Miṣr fī al-ʿAṣr al Uthmānī (Waqfs and Economic Life in Egypt in the Ottoman Period), Cairo: General Egyptian Book Organization. (1991, p. 183, 240)
[43] Mujam Trajim Aʿlam al-Waqf, 1435H., Koweït, Al-Amanah, pages 169 à 70
[44] Humphreys 1994: 48
[45] Berkey, 1992: 164
[46] Fay, 1997, p. 37
[47] Ibid., P. 38
[48] Roded, Ruth (1994), Women in Islāmic biographical collections: from Ibn Sad̀ to Who’s Who. Boulder, Colo and London, Lynne Rienner. 1994: p. 136
[49] Hallaq 2009, 194, cité dans Gray, 2010, p. 21
[50] Doumani, 1998, p. 19
[51] Ibn Qudamah, 1983, 6: 190
[52] Hallaq, W. (2009). Shari’a: Theory, Practice, Transformations, Cambridge, Cambridge University Press. (2009, p. 194)
[53] Humphreys, Stephen (1994), “Women as Patrons of Religious Architecture.” In Muqarnas XI: An Annual on Islāmic Art and Architecture. Gülru Necipoglu (ed.). Leiden: E.J. Brill. (1994, p. 35)
[54] Humphreys, 1994, p. 37
[55] Khanqah (cf. persan khaneh : maison ; en arabe: خانقاه) fut d’abord un lieu destiné à abriter les spécialistes et savants religieux musulmans (‘ulamâ’), une sorte d’équivalent des couvents chrétiens. Ces établissements ont été ensuite réservés aux soufis.
[56] Le ribat était originellement une petite forteresse construite dans les premiers temps de la conquête musulmane du Maghreb pour protéger les frontières de l’islam. Avec le temps, ils deviennent des gîtes pour les voyageurs mais aussi des refuges pour les mystiques.
[57] Ibid. P. 37
[58] Fay, 1997, p. 38
[59] Abul-Magd, 2007, p. 4
[60] Al-Humaidan, 2016, p. 58-77
[61] Al-Darmi, Abd-Allah b. Abd al-Rahman (1407), Sunan al-Darmi, Beirut, Dar al-Kitab al-Arabi, 1404 H. 2: 518, Adid no 3300
[62] Ibn Battutah (1985), Rihlah Ibn Baṭṭuṭah, Beirut, Dar Beirut li al-Tiba’ah wa al-Nashr.Ibn Battutah, 1985, p. 104
[63] Ibn Qudamah, Abd-Allah b. Ahmad al-Maqdisi (1405 H), al-Mughni, Kitab al-waqf, Beirut, Dar al-Fikr.Ibn Qudamah, 1983, 8 : 206).
[64] Al-Mirdawi, Ali b. Sulaiman (1419 H), al-Inṣāf fi Maʿrifat al-Rājiḥ min al-Khilāf, Beirut, Dar Ihya’ al-Turath al-Arabi.
[65] Hallaq , W. (2009). Shari’a: Theory, Practice, Transformations, Cambridge, Cambridge University Press.2009, pp. 194-195
[66] Fay, 1998, p. 37
[67] Doumani, 1998
[68] Doumani, 1998, p. 13
[69] Fay, P. 42
[70] Fay, 1997, p. 42
[71] Al-Tarabulusi, Burhan al-Din Ibrahim b. Musa (1902), Kitab al-Isʿāf fi Aḥkām al-Awqāf, Egypt, Matba`ah Hindiyah. Al-Tarabulusi, 1902, p.49)
[72] Abu Dawud, nd., 3:79, adīth no 2881
[73] El-Zawahreh, 1992, p. 118-19, 138; Afifi, p. 243
[74] Fay, 1997, p. 36
[75] Ibid
[76] Bahlawan Samar (2006), al-Mar’ah wa’l-waqf fi zill al-ḥukm al-Uthmani (Woman and Waqf under the Ottoman Rule), a paper presented in the 7th International Conference on Bilad al-Sham (Levant). Bahalwan 2006, 9
[77] Al-Omar, Fuad Abdullah (2001), Is’hām al-Waqf fi al-ʿamal al-ahlī wa altanmiyah al-ijtimaʿiyah, Kuwait, Al-Amat al-ʿAmmah. Al-Omar, 2001, p. 32)
[78] Abul-Magd, Zeinab A. (2007), Religious Practices: Waqf: Overview, in Suad Joseph (ed.), Encyclopedia of Women and Islāmic Cultures, Volume V. Abul-Magd, 2007, p. 1).
[79] Abul-Magd, 2007, p. 2
[80] Al-Boukhari, Muhammad b. Ismail, (undated), Ṣaḥiḥ al-Bukhari, Beirut, Dar al-Ma’rifah. Al Boukhari, non daté, volume 2, p.116
Source : International Islamic University Malaisia. Intellectual Discourse, 2018, vol 26L