Le waqf et l’économie civique
LE WAKF ET L’ECONOMIE CIVIQUE
Le problème majeur de notre époque est celui du chômage, de l’exclusion et de la misère qui en découlent. Notre société est tellement bâtie autour du travail que l’éducation n’a plus pour but de former des hommes, mais des travailleurs. L’emploi définit la condition sociale, et son absence est perçue non pas comme une libération, mais comme une exclusion. C’est donc une mutation de toute la société qui est en cours, et la question à se poser est : s’agit-il d’une catastrophe fatale ou sommes-nous capables de piloter cette mutation pour qu’elle débouche sur une société humainement plus épanouissante ? Le waqf peut nous y aider.
Des recherches utiles et très détaillées ont été faites sur les diverses manifestations de la société civile à travers l’expérience historique (et même pré-historique) de diverses civilisations et cultures.
Dans le contexte moderne, les discussions sur la société civile ont également conduit à considérer des cadres socio-économiques alternatifs au capitalisme actuellement dominant dans lequel les forces du marché manipulées et les échanges commerciaux orientés vers le gain privé trop individualiste sont préférés à des mécanismes non marchands privilégiant la solidarité socio-économique.
Les études du Waqf ont constamment démontré que le système économique islamique est intrinsèquement et consciemment compatible avec la société civile, axé sur l’équité socio-économique pour le bien commun, de sorte que l’intérêt privé est parfaitement intégré dans l’intérêt public général tendant à ce qu’on peut appeler une économie du bien commun.
Les échanges actuels autour du waqf parmi les intellectuels et les militants musulmans concordent très bien avec le discours de plus en plus présent en Occident sur les modèles économiques alternatifs qui mettent les gens et les communautés et leurs écosystèmes de nouveau dans le centre de la pensée et de la planification socio-économique.
Compte tenu de ce que nous savons à propos de waqf et sa mise en œuvre dans les sociétés islamiques dynamiques et cosmopolites avant l’avènement de l’hégémonie européenne mondiale, les gens activement impliqués dans la revivification et la revitalisation des awqaf doivent réfléchir sur nature du système macro-économique implicite et entraîné par l’institution du waqf et dans lequel il doit être incorporé.
Nous pouvons nous demander si nous voulons prendre une vision limitée ou globale du waqf, à savoir :
- Le waqf sert-il simplement comme une alternative légaliste superficielle, formelle à l’institution laïque occidentale moderne de la confiance caritative?;
- Le waqf peut-il fournir une alternative à la privatisation qui découle du capitalisme?
- ou Le waqf entraîne-t-il un cadre macro-économique qui va à l’encontre de la dominance mondiale du capitalisme en grande partie désintéressées des moyens de subsistance de communautés locales?
Si nous prenons la vision limitée du waqf, alors celui-ci est seulement d’intérêt technique légaliste, un « pragmatisme creux », une divergence opérationnelle formelle pour la plupart à la fiducie de bienfaisance laïque, qui elle-même est en grande partie une annexe ad hoc à un cadre macro-économique ayant peu ou rien à voir avec l’éthique de l’autonomie, de la philanthropie communautaire dans laquelle le bien-être social et la solidarité communautaire sont plutôt servis que compromis par le marché (qui n’est en fait pas si libre).
Si nous prenons la vision globale du waqf, alors nous devrons situer celui-ci dans le contexte plus large de l’éthique économique islamique intégrative et mu’āmalah (science des transactions). En d’autres termes, nous devons adopter une vision holistique du waqf en tant que partie intégrante d’un ensemble socio-économique alternatif complet ; nous ne devons pas prendre le waqf sans prendre en compte l’ensemble dans lequel il est inextricablement intégré.
Si nous faisons cela, nous réduisons le waqf à une simple forme technique, légaliste sans se rendre compte de sa substance morale et socio-économique profonde, et par conséquent le changement de la fiducie de bienfaisance laïque au waqf islamique ne va juste être qu’un changement de nom et non pas dans contenu, auquel cas nous répéterions l’erreur de certaines banques dans leur préférence systématique pour les formes contractuelles légalistes plutôt que l’équité socio-économique.
Nous ne disons pas que la forme n’a pas d’importance, car en effet elle en a ; mais nous disons que la forme juridique doit toujours être au service des objectifs socio-économiques éthico-moraux sous-jacents.
Exemple, dans la gestion du ménage, la préoccupation fondamentale du chef du ménage est la gestion prudente ou la gérance des ressources, des recettes et des dépenses du ménage de manière à subvenir aux besoins de tous les membres, les humains et non-humains, du ménage. Dans un ménage typique, relativement plus d’inquiétude est consacrée aux soins et à la fourniture des besoins des personnes handicapées et des faibles (les bébés, les enfants, les personnes âgées, les handicapés), tandis que les membres les moins dépendants et indépendants (adultes et personnes en bonne santé) doivent se débrouiller plus ou moins seuls et même contribuer à l’économie globale et le bien-être général de la famille.
Maintenant, la ville et le pays dans son ensemble peut être considéré comme un ménage étendu dans lequel le chef est appelé gouvernement, et le principe de se préoccuper plus des faibles est le même (les pauvres et les défavorisés de la population). Grâce au waqf, nous avons un système très décentralisé, basé sur la communauté économique, appelé le système de « bien-être du marché », dont la principale préoccupation est finalement le ravitaillement du système sur le surplus commercial privé pour les services publics et pour les besoins des pauvres et des défavorisés, ainsi la compréhension du véritable but de «l’économie» comme une science, et de la véritable signification de «l’économie» comme une famille élargie entraînent en fin de compte l’intendance de la terre dans l’ensemble comme le macro-ménage global.
Source : Extrait Islamic Sciences n Vol. 12 (Winter 2014) No. 2 – Adi Setia